Les pires chaînes sont celles qu'on ne voit pas. « Nul n'est plus esclave que celui qui se considère libre sans l'être », écrit Goethe. Même si parfois cela nous fait peur de reconnaître que nous préférons regarder dans une autre direction, pour ne pas remarquer la division profonde entre le désir de liberté de soi et les chaînes oppressives que représentent les « autres ».
Nietzsche, qui a consacré une grande partie de son travail à réfléchir à la manière de nous libérer de la tyrannie sociale, a réfléchi à ce que devrait être un « esprit libre », une personne qui possède ses parts, qui pense et décide par elle-même sans se laisser influencer par la société. Une personne qui n'est pas un produit de l'ingénierie sociale mais prend les rênes de sa vie et assume la responsabilité de ses actes.
Comment est la personne à l'esprit libre ?
Dans son livre « Au-delà du bien et du mal », Nietzsche fait de l'affirmation de soi de la volonté et du renoncement à l'influence d'autrui les piliers fondamentaux pour devenir un esprit libre, mais esquisse également d'autres caractéristiques qui, selon lui, devraient avoir des personnes qui aspirent à penser et à décider par elles-mêmes.
1. Profiter de la solitude. « Tout homme élu aspire instinctivement à avoir son château et sa cachette où il pourra se racheter de la foule, de la multitude, de la majorité », écrit Nietzsche. Et ce n'est pas un hasard si c'est une des premières caractéristiques des esprits libres qu'il mentionne puisque, selon le philosophe, la solitude par choix est une condition essentielle du libre penseur. La solitude n'est pas seulement une condition sine qua non de l'introspection, elle nous permet aussi de prendre la distance psychologique nécessaire pour trouver notre vrai « moi » sous tant de couches sociales.
2. Écoutez avec un esprit ouvert. Un esprit libre n'est pas une personne arrogante, mais il évite la présomption de tout savoir et ouvre son esprit à de nouvelles connaissances et perspectives. Nietzsche disait : « l'amant du savoir doit écouter avec subtilité et diligence, doit avoir des oreilles dans tous ces endroits où l'on parle sans indignation ». Bien qu'une partie du voyage de l'esprit libre passe par des chemins intérieurs, à la recherche de lui-même, une autre partie se déroule dans le monde partagé, ces personnes doivent donc être disposées à boire à toutes les sources.
3. Soyez vous-même. "Nous devons nous débarrasser de la mauvaise habitude de vouloir être d'accord avec tout le monde", a déclaré Nietzsche. Le besoin de rechercher l'approbation et l'acceptation peut nous éloigner de nous-mêmes, faisant taire nos vrais désirs et aspirations. C'est pourquoi l'esprit libre s'affranchit de la mentalité de masse et de cette paresse privée qui consiste à se subordonner à l'opinion publique. Un esprit libre écoute, puis évalue et décide de manière indépendante. Le plus souvent, cela signifie que les autres seront en désaccord avec nos idées et nos décisions, ce qui attirera beaucoup de critiques. Vous devez être préparé à cette éventualité.
4. Soyez fort et sachez gérer les critiques. Être un esprit libre dans une société qui fait tout son possible pour que les gens s'intègrent dans des schémas préétablis demande beaucoup de force et de courage. Nietzsche affirmait qu'« il s'agit de très peu d'être indépendant : c'est le privilège des forts ». Il pensait que quiconque essaie de le faire "entre dans un labyrinthe, multiplie par mille les dangers que la vie apporte déjà avec elle" et ne peut même pas aspirer à l'empathie car la plupart des gens ne le comprennent pas, afin qu'ils puissent juger leurs idées et décisions telles comme un non-sens ou une hérésie, selon le niveau d'alarme qu'ils provoquent et la mesure dans laquelle ils entrent en conflit avec les normes sociales établies. Nietzsche l'avait prévu : « Nos intuitions suprêmes semblent nécessairement - et elles doivent sembler ! - le non-sens et, dans certaines circonstances, les crimes, lorsqu'ils parviennent indûment aux oreilles de ceux qui ne sont pas faits ou prédestinés pour cela ».
5. Surmonter les stéréotypes sociaux. L'esprit libre que Nietzsche a décrit doit être capable d'aller au-delà du bien et du mal, en évitant cette "formule morale dangereuse" car elle ne ferait que de nous "de courageux défenseurs des 'idées modernes'"; c'est-à-dire les défenseurs du système en service. Pour le philosophe, être un esprit vraiment libre revient à se débarrasser des conditionnements moraux et sociaux pour déterminer notre propre vie, indépendamment de ce que nous devons ou ne devons pas faire. Par conséquent, le sien est un appel à subvertir l'ancienne structure de valeurs qui, selon lui, asservit l'esprit humain. Une structure de valeurs basée sur de bonnes ou de mauvaises étiquettes qui nous empêchent de voir les choses dans leur immense complexité en nous faisant négliger toute la gamme de couleurs qui existe entre le noir et le blanc.
6. Développer le détachement. Pour Nietzsche, l'esprit libre "ne peut rester attaché à aucune personne : pas même la plus aimée", ni à un pays, au martyre et même à la science car cet attachement insensé lui enlèverait l'objectivité et la possibilité d'aller de l'avant sur le chemin de la découverte. Il précise aussi qu'il ne faut pas « s'en tenir à notre désarroi, à cet éloignement voluptueux et à cette aliénation de l'oiseau qui fuit de plus en plus haut, pour voir de plus en plus de choses en dessous [...] Il faut savoir se préserver. : c'est la plus grande preuve d'"indépendance". La pratique du détachement émotionnel consiste à embrasser l'incertitude et à avoir la flexibilité de changer d'avis si nous réalisons que nous avions tort ou que ces idées nous blessaient parce qu'elles avaient perdu leur raison d'être.
Du libre penseur à l'esprit libre
Les caractéristiques de l'esprit libre que Nietzsche définit indiquent qu'il s'agit de personnes qui ne sont pas enchaînées aux coutumes, aux conventions sociales et aux stéréotypes mais, surtout - et surtout - ne sont pas enchaînées aux schémas de pensée dominants, non seulement en termes d'idées mais du processus de pensée lui-même. Ce sont des gens qui remettent tout en question parce qu'ils ont besoin d'atteindre leur propre vérité.
En effet, Nietzsche distingue un libre penseur et un libre esprit puisque, tandis que le premier court le risque de s'en tenir à ses idées, de les rendre immobiles, l'esprit libre cherche continuellement tout en étant plongé dans un processus de croissance constante.
Le libre penseur s'expose à la tentation de substituer un Dieu à un autre, comme l'ont fait les scientifiques, qui ont sacrifié la religion sur l'autel de la science pour construire un nouvel autel sur lequel les dogmes établis ne peuvent guère être discutés. L'esprit libre de Nietzsche, en revanche, est un chercheur infatigable, un inquisiteur tenace qui essaie de se forger sa propre image du monde sans l'imposer aux autres. Dans ses recherches, il se libère des liens et des certitudes pour se lancer dans le voyage le plus passionnant de tous : la recherche de ses idées.
Restons sur cette réflexion d'Alvin Toffler : « Les analphabètes du XXIe siècle ne sont pas ceux qui ne savent ni lire ni écrire, mais ceux qui ne savent pas apprendre, désapprendre et réapprendre ».